le tableau

Publié le par nicolas dumolié

LE TABLEAU

Ce tableau fut longtemps considéré comme une croûte. Aujourd'hui, les affairistes du monde entier, les marchands d'art, se battent à coups de dollars afin de l'acquérir. Le prestige de la toile, image fixe, peinte aux couleurs chatoyantes qui franchissent les époques, est aussi lié à la vie météore de son créateur.

            Il se suicida à 25 ans, ne laissant derrière lui que des tableaux et pas de famille ou d'amis qui puissent le pleurer. Son atelier n'était connu que de Ernst Schwarz, prospecteur,  arpenteur des quartiers underground, où l'art se fait, renaît, joue avec de nouveaux codes et se réinvente.

            La rencontre de Ernst Schwarz et de l'artiste prit une tournure particulière : celui-ci, ouvert, tolérant, placide, essayant de toute son amabilité à juger commodément, consciencieusement les œuvres des autres, ne put soutenir la vision d’une toile de cet artiste.

Elle exprimait une douleur ,qu’on ne cernait pas au premier abord, mais qui devenait intolérable, lorsque le regard se faisait sur ce détail sordide qui apparaissait dans une étrange surabondance de couleurs franches, or et rouge :un point ultime, où la toile semblait converger, une pointe de gris mat qui au milieu de cette vomissure, semblait crever l’enfer, la lave, et murmurait au spectateur : « au milieu du sang tes os seront visibles, et il ne te restera plus qu’eux à ta mort ».

            C’est bien l’image de l’après mort, de la fin de la vie, où le corps est animé de pulsions cardiaques, qui entraînent le sang du cœur au cerveau, du cœur vers les membres et les organes : tout cela, poussière, gris, ossements, silence, l’œil de la tombe te regarde semblait dire cette touche de gris mat.

            Devant la toile, Schwarz se détourna, et l’instant de répulsion de cet homme au costume sur mesure, fut pris par l’artiste comme une réprobation du tableau. Il expliqua qu’il n’était pas arrivé véritablement à ce qu’il souhaitait faire, que peut-être il y avait des améliorations à apporter, et lui présenta d’autres toiles plus réussies, plus abouties selon ses mots.

                Que dire de Schwarz, la révélation l’avait transformé, cet artiste qui ne faisait pas parlé de lui, qui ne buvait pas, ne se droguait pas, qui vivait pauvrement pour son art, avait rendu l’aspect le plus terrible de la nature humaine, synthétisé en une image peinte. Mais comme une photographie tellement ses résonances frappaient de clarté, le temps était absent de cette toile, elle travaillait un temps, hors du temps qui s’écoule, un instant, le sentiment qu’éprouvait le spectateur était démultiplié par la toile, elle toucherait les gens universellement. Elle avait vu la mort.

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